Le dernier

Genre : comédie tirée de Démocratie mosaïque 4

Distribution : illimitée

Durée : 15min

Editeur : Lansmann

Résumé :

Un homme est devenu, malgré lui, une attraction internationale. On vient de loin pour le voir, le toucher, lui poser des questions auxquelles il ne répond jamais. Cet homme est malheureux d’être «  le dernier ». Il ressasse, pleure, se lamente, regrette sa famille, les siens. Il fatigue les touristes qui repartent déçus. Mais ils pourront dire à leur voisin qu’ils ont vu le dernier arabe de la planète.

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Extrait

…/…

Un homme (A) assis sur un banc, un autre (B) l’écoute.

Le lieu est indéfini.

A: Avant, je travaillais. Je me levais à 5 heures. Dans la baraque d’où le froid n’arrivait jamais à sortir, je préparais le café pour dix. Je me lavais dans un seau que je dégourdissais parfois avec l’eau du café. Puis je réveillais les autres. On parlait avec les yeux pour garder encore quelques miettes de sommeil sur les lèvres. A 6 heures, fallait qu’on soit sur le chantier. Même les jours de pluie. Surtout les jours de pluie, quand il y a le plus d’absents. Et ça durait jusqu’à la nuit.

B: Et puis ?

A: Et puis maintenant….plus rien.

B: Rien ?

A: Non, rien. Le banc, la cigarette, le sourire obligé, l’horloge du temps dans la paupière et pas bouger.

B: Pourquoi ça ?

A: On voit que vous n’êtes pas d’ici.

Un troisième homme (C) arrive. Ils ne portent, ni eux ni ceux qui viendront ensuite, de costume ni d’accessoire distinctif.

C: Faut pas rester là. Vous regardez, vous photographiez mais vous lui parlez pas.

B: Je faisais rien de mal.

C: Si. Vous le forcez à répondre en posant vos questions.

B: Et alors ?

C: Ca l’use.

B: La conversation n’a jamais usé personne.

C: Si, lui ça l’use. Ca le force à réfléchir, à trouver des mots. En plus, dans une langue qui n’est pas la sienne. C’est un effort cérébral qu’il faut lui éviter si on veut le garder le plus longtemps possible. C’est le dernier, vous savez.

B: Le dernier quoi ?

C: Le dernier arabe.

B:………ah c’est lui……

C: Oui. C’est à nous. Il est dans notre ville. C’est notre curiosité. Ils sont tous partis, de partout. Sauf ici. On a su en garder un.

B: On me l’avait dit mais j’en étais pas sûr.

C: Si, si, si. C’est lui. On a fait de gros sacrifices pour le garder. Il voulait repartir avec les autres. On a monnayé son transfert, un bon paquet d’ailleurs, mais on ne regrette pas.

B: Son transfert ?

C: Oui. En fait il logeait dans une cabane posée sur la commune voisine mais eux c’est des culs-terreux, ils ont pas reniflé l’affaire. On leur a racheté la cabane, le bout de terrain autour et on a construit une sorte de parc d’attraction. Vous pouvez visiter. C’est resté tel quel.

A: Le dimanche on allait au marché en carriole, on ramenait les légumes pour la semaine. Parfois on achetait un agneau et on faisait le méchoui. Au marché on parlait entre cousins, le pays, la famille, les enfants, on partageait un thé à la menthe. Des fois on était un de moins, accident du travail, alors on vidait les trous de nos poches et on envoyait une Tour Eiffel en plastique à sa veuve, pour la consolation.

C: Vous voyez, vous l’avez fait parler maintenant il ne va plus s’arrêter.

Un groupe s’est approché, entoure le banc. Les répliques ne sont pas distribuées.

B: C’est lui.

– C’est lui ?

B: Oui, regardez. On le voit bien.

– Je pensais pas qu’on pouvait s’approcher.

B: (Il montre C) Si mais c’est surveillé. Moi je lui ai parlé et…

– Toi, faut toujours que t’en fasse trop.

B: Je pouvais pas savoir.

– Un arabe ! Depuis le temps.

– Moi, je vais vous dire, c’est bien comme ça que je le voyais.

– Moi, je me souvenais plus.

– Moi, j’avais le souvenir de gens plus petits.

– Non, ce sont pas les arabes qui sont petits, ce sont les japonais.

– On s’y attend, on s’y prépare et quand on est devant, on est tout…

– Vous croyez qu’il comprend qu’on lui parle ?

B: Oui, oui. Il répond même très poliment. Mais c’est interdit.

A: J’avais une petite fille, Awiwa, ma petite boule de miel. Quand elle est née j’ai marché 25 kilomètres pour aller la déclarer à l’état civil. C’est ma fille, monsieur, j’ai dit, je lui donne le prénom d’Awiwa qui ne veut rien dire mais qu’on porte dans la famille depuis des générations. Elle sera belle comme sa mère, courageuse comme sa grand-mère, elle aura quatre garçons…le monsieur m’a dit: pour ça, tu reviendras plus tard. Il a écrit Awiwa avec sa belle écriture dans un grand livre noir et moi j’ai refait les 25 kilomètres dans l’autre sens, jusqu’au bout du soleil. Quand je suis arrivé…

C: Faut pas parler de ça. Vous savez que ça vous fait du mal. Tenez, prenez une cigarette et souriez, on vous regarde.

– Il est bizarre votre arabe, il n’a pas l’air heureux.

…/…